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Résidence fiscale des couples mariés expatriés : l’éclairage de la CAA de Toulouse

24/12/2025

Expatriation et résidence fiscale des couples mariés : analyse de l’arrêt CAA Toulouse du 5 juin 2025 et des risques d’imposition en France malgré une activité à l’étranger.

L’arrêt de la CAA Toulouse, 5 juin 2025, n° 23TL01068 vient préciser les règles d’imposition des époux mariés vivant dans des Etats différents.

1. Portée générale de la décision

L’arrêt de la CAA de Toulouse s’inscrit dans une jurisprudence désormais bien établie relative à la domiciliation fiscale des couples mariés, y compris lorsqu’ils sont séparés de biens et géographiquement dissociés pour des motifs professionnels.

Il confirme deux principes classiques mais souvent sous-estimés en pratique :

  • la séparation de biens est indifférente à l’analyse du foyer fiscal au sens de l’article 4 B du CGI ;
  • la résidence séparée des époux ne suffit pas, à elle seule, à justifier une imposition distincte, dès lors que cette séparation présente un caractère temporaire.

2. L’appréciation extensive du « foyer » au sens de l’article 4 B du CGI

2.1. Une conception familiale et non patrimoniale du foyer

La cour adopte une lecture orthodoxe mais particulièrement extensive de la notion de foyer, entendu comme le centre des intérêts familiaux, indépendamment :

  • du régime matrimonial ;
  • du lieu d’exercice de l’activité professionnelle ;
  • de la durée effective de présence de l’époux expatrié.

Le raisonnement repose sur une agrégation d’indices factuels :

  • maintien du conjoint et de l’enfant en France ;
  • détention de plusieurs biens immobiliers en France ;
  • perception de revenus fonciers français ;
  • comptes bancaires domiciliés en France ;
  • retours réguliers supposés en France.

Cette approche confirme que le foyer fiscal n’est pas un concept de présence physique, mais un concept fonctionnel et relationnel, centré sur la cellule familiale.

2.2. Une charge probatoire particulièrement lourde pour le contribuable

En pratique, la décision illustre la difficulté extrême de démontrer la rupture du foyer lorsque :

  • le conjoint et les enfants demeurent en France ;
  • l’expatriation n’est pas assortie d’un projet familial durable à l’étranger.

Même en présence :

  • d’un contrat de travail étranger,
  • d’un logement stable à l’étranger,
  • d’une activité professionnelle exclusive hors de France,

ces éléments ne suffisent pas à eux seuls à déplacer le foyer fiscal hors de France.

3. La résidence séparée : une tolérance strictement encadrée

3.1. La notion de « caractère temporaire » : un critère clé mais flou

La cour qualifie la résidence séparée de temporaire, sans fixer de seuil temporel précis, ce qui laisse subsister une zone d’insécurité juridique.

La jurisprudence confirme ainsi que :

  • la durée de la séparation n’est pas déterminante en soi ;
  • c’est la finalité de la séparation (mission professionnelle, expatriation contrainte) et l’intention familiale qui priment.

Ce critère subjectif renforce la marge d’appréciation de l’administration fiscale, souvent au détriment du contribuable.

3.2. Continuité jurisprudentielle

L’arrêt s’inscrit dans la droite ligne de la décision du Conseil d’État du 21 octobre 2011, selon laquelle :

la résidence de l’époux à l’étranger pour des raisons professionnelles, avec retours réguliers au domicile familial, ne justifie pas une imposition séparée.

La CAA ne fait donc que prolonger une jurisprudence constante, mais en l’appliquant à un contexte international sensible (Afrique / pays en développement).

4. L’analyse conventionnelle : primauté du centre des intérêts vitaux

4.1. Reconnaissance d’un foyer permanent à Madagascar… mais insuffisant

La cour reconnaît explicitement que Monsieur disposait à Madagascar :

  • d’un foyer permanent d’habitation au sens de la convention franco-malgache.

Toutefois, cette reconnaissance est neutralisée par l’étape suivante de l’analyse conventionnelle : la détermination du centre des intérêts vitaux.

4.2. Une conception hiérarchisée des intérêts vitaux

La décision illustre une tendance jurisprudentielle lourde :

  • les intérêts familiaux priment sur les intérêts économiques et professionnels ;
  • l’activité professionnelle à l’étranger, même exclusive, ne suffit pas à déplacer le centre des intérêts vitaux si la famille demeure en France.

Ainsi, malgré :

  • l’exercice de l’activité à Madagascar,
  • la réalisation sur place d’une plus-value mobilière significative,

le centre des intérêts vitaux est rattaché à la France en raison :

  • du maintien du noyau familial,
  • de la concentration du patrimoine et des revenus en France.

5. Enjeux pratiques et enseignements pour les contribuables

5.1. Risques accrus en cas d’opérations patrimoniales significatives

L’affaire illustre un schéma classique de requalification a posteriori de la résidence fiscale à l’occasion :

  • d’une cession de titres,
  • générant une plus-value substantielle,
  • réalisée durant une expatriation supposée.

La décision rappelle que l’administration et le juge examinent la résidence fiscale à la date du fait générateur, indépendamment de l’apparence déclarative.

5.2. Nécessité d’une cohérence globale de la situation

Pour espérer une reconnaissance de non-résidence, il ne suffit pas de :

  • travailler à l’étranger,
  • louer ou acheter un logement hors de France.

Il est indispensable de démontrer :

  • un déplacement effectif du centre de vie familiale, ou
  • à tout le moins, une désolidarisation claire et durable du foyer français.

À défaut, le risque d’imposition mondiale en France demeure élevé.

6. Appréciation critique

Sur le fond, la décision est juridiquement cohérente et conforme aux textes.
Sur le plan pratique, elle confirme toutefois une approche très restrictive de la mobilité internationale des couples mariés, peu adaptée aux réalités contemporaines de l’expatriation professionnelle.

Elle renforce :

  • la prééminence du critère familial,
  • la sévérité de l’analyse probatoire,
  • et l’insécurité pour les contribuables se croyant à tort non-résidents.

Conclusion

L’arrêt de la CAA de Toulouse rappelle avec force que, pour un couple marié, la résidence fiscale reste avant tout une notion familiale et globale, bien plus qu’un simple rattachement professionnel ou géographique.
Il constitue un avertissement clair pour les contribuables en situation de mobilité internationale : sans rupture familiale réelle et durable, l’expatriation professionnelle ne protège pas contre l’imposition en France.

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